Deux Capitaines en Eaux Incertaines

Les Rolling Stones sont un band de 2 guitaristes. 

Depuis leurs débuts. Keith y est habitué depuis toujours. Ce n'est pas archi grave que Mick Taylor eût quitté, dira-t-il avec orgueil car Keith peut jouer tous les accords de tous les instruments, mais la vérité est ailleurs. Il sait qu'il est fort pour trouver des riffs, ce qui était parfait du temps de Brian, où le son du band était plus axé sur le blues, mais que la finesse du doigté, les élans lyriques, c'est avec Mick Taylor que le band arrivait à faire autre chose. Progresser avec une certaine continuité. Naviguer heureux. 

Tout en faisant sensiblement la même chose. C'est à dire, écrire du rock blues qui était amélioré par des élans de guitare naturels du jeune Taylor. C'est ce que Jagger & Richards demanderont à Harvey Mandel, ancien guitariste de Canned Heat et de John Mayall, d'ajouter des "licks" au jam de Mick & Keef, qu'ils ont subtilisé tous deux à Bill Wyman qui compose la base originale. Mandel brille sur le morceau utilisant une pédale Mutron III qui fait glisser le son de manière assez plaisante. Hot Stuff sera disco tout en restant rock. Funk. 

Keith est assez lucide pour savoir ce qu'il peut faire et ce qu'il ne fait pas. Il ne voulait pas Clapton qui l'aurait éclipsé. On ne l'a pas encore annoncé car on veut le tester sur scène, mais Ron Wood est anticipé comme remplaçant de Mick Taylor. En avril et mai 1975, on commence à pratiquer à l'église de Warhol Estate, à Montauk, Long Island, NY. Avec Ron qui doit apprendre quelques 150 chansons. Il finit par jouer au feeling et non de tout apprendre comme originalement écrit, car c'est titanesque comme tâche. En plus de forcément se voir comparé à ce que Jones ou Taylor faisaient. En plus d'être ingrat. 

Les Stones ne peuvent pas retourner en Angleterre où les taxes leur seraient appliquées à 94%. Ce qui veut dire que sur 50 spectacles, il ne toucheraient l'argent que sur un seul. Il est donc humain de vouloir en rester loin. Mais vivre aux États-Unis n'est pas tellement une envie partagée. Les États-Unis, comme aujourd'hui, font peur. On annonce la tournée des Amériques en jouant Brown Sugar sur un camion qui passe dans les rues de New York, sur la 5ème avenue. 

La tension devient grande entre Mick & Keith puisque la direction du band est en mode de changements. Dans un restaurant de Montauk, Mick & Keith se chicanent si fort que Jagger finit par frapper de frustration de son poing une fenêtre du restaurant, la brisant, et coupant sa main. L'incident reflète bien la dynamique turbulente qui animera le duo pour le reste de leurs carrières. Plusieurs observateurs disent que les Stones ont atteint leur fin populaire. Le disco prend de l'ampleur, leur son serait peut-être celui du passé. Un journaliste demande à Jagger platement pourquoi faire une tournée ?

Jagger s'insurge et lui répond que c'est comme si il lui demandait pourquoi il conduit une entrevue avec lui, que c'est son travail. On a envie de ne plus prendre au sérieux le band. Et il est vrai qu'à partir de maintenant, ils seront moins dominants dans les radios. Mais le resteront toujours en tournée. On lance une compilation sous l'étiquette des Rolling Stones ce qui souligne davantage que le meilleur est peut-être derrière eux, mais aussi que c'est un nouveau départ pour l'équipée. Qui est désormais forcé à une seconde ressuscitation. 

Pour la tournée, Billy Preston au piano et aux voix, Wood à la guitare, aux voix et à la base pour l'excellente Fingerprint File*, Ollie Brown aux percussions et Ian Stewart aussi au piano. 

Ils accompagnent tous sur scène Jagger, Keef, Bill & Charlie. Billy Preston chante même deux morceaux à lui vers les 3/4 du spectacle.

On commence à Bâton Rouge le 1er juin, jour pas innocent puisque jour des 28 ans de Ron Wood, pour 45 spectacles jusqu'au 8 aôut. Ce premier spectacle en Louisiane sera double. Comme on le faisait plus jeune. Mais ce sera le seul double, ainsi. On présente 23 chansons toutes issues du catalogue des Rolling Stones de 1968 à 1975. Rien avant sinon Get Off of My Cloud, mais pas (I Can't Get No) Satisfaction. Ce qui en déçoit quelques uns. Ils ont payé un gros 12$ pour leur billet. Mais on attire souvent plus de 53 000 personnes partout. Lors du rappel à New York, Eric Clapton et Carlos Santana se joignent à eux sur scène pour Sympathy For The Devil. Le processus d'audition est en quelque sorte toujours en cours. À Los Angeles, Jesse Ed Davis, guitariste pour Taj Mahal, John Lennon, George Harrison, Clapton, sera aussi du rappel pour le même morceau. Ringo Star et Elton John feront aussi des apparitions sur scène. On ne présente en tournée qu'un seul morceau de l'album à venir, mais encore là, pas tous les soirs. Très sporadiquement. On sent que les Stones naviguent des eaux incertaines, on reste prudents. 

Un pénis en ballon géant apparait sur scène quand ils font Star Star. Mais pas à San Antonio, au Texas et à Kansas City où on juge "que le sécurité de la foule est compromise". Il faut y lire que c'est plutôt la morale du Sud qui parle. 

Sans consulter les Stones une compilation de démos de l'époque d'Andrew Loog Oldham/Allen Klein (1964-1969) est lancée. Klein et Oldham cherchent à grappiner de l'argent là où ils le peuvent. Une session de photos est faite à l'Alamo, aux États-Unis, avec Wood dans le band. Mais on ne l'annoncera pas dans le groupe avant avril 1976 encore. Avec Ron, moins lyrique que Taylor et plus blues comme Jones, on semble revenir à un son plus cru. Brut. On a toujours voulu deux guitares et si Taylor pouvait donner de l'élan comme Mandel le fait si bien sur Hot Stuff, Wood et Richards s'échangent les solos et le rythme. 

On arrive pas à s'entendre pour un verdict dans le dossier de possession de drogue de la femme de Ron Wood, Krissy. Un nouveau procès est annoncé pour dans 6 mois. Ron Wood lance un second album solo. Keith et Mick Taylor sont dessus. Bobby Womack aussi. Ian Maclaghlan anciennement des Small Faces et de Faces également. 

Keith et Ron se font arrêter pour être en possession d'un poignard illégal en Arkansas. On trouve aussi de la cocaïne dans leur coffre à gant. On oubliera toutes les accusations avec le temps. La relation adultère entre Richards et la mannequin Uschi Obermeier se termine cet été là. 

L'instabilité politique force le band à annuler toutes les dates qui étaient prévues en Amérique du Sud. Entre août et novembre, Ron Wood est en tournée avec The Faces pour la dernière fois. Wyman et même Mick enregistrent chacun du matériel pour un album solo. Si pour Wyman ce sera un second effort de la sorte, pour Mick, ce serait un premier, mais Mick ne se commet pas sur galette. Les Rolling Stones sont des rockers de plus de 30 ans. Prudemment, on se tricote du plan B si jamais le navire prenait l'eau. Wood & Wyman sont d'un band pour l'anniversaire de Peter Sellers, à Los Angeles, où s'y trouvent Keith Moon, Oliver Reed et David Bowie. L'alcool, la débauche et la drogue peuplent la soirée. Wyman enregistre beaucoup et retourne vivre en France, un peu. Jagger le rejoint le temps d'aller voir Santana en spectacle, à Paris.

Puisque Keith a montré des efforts de désintoxication, des accusations françaises de possession d'héroïne et de cannabis tombent. Quand le 19 décembre, Rod Stewart annonce qu'il quitte les Faces, Ron Wood annonce la même chose, se collant à Keith, Mick, Bill & Charlie. Après des vacances au Brésil avec Bianca, Mick se prend a fuck room un appartement  à New York, en janvier 1976.

On mixe encore Black & Blue. Mick fréquente John & Yoko, nouvellement réunis. Wyman lance son second album solo. Son titre est si lourd d'implication que ce sera aussi le titre de son autobio lancée beaucoup plus tard. Dr John, Ron Wood, Nicky Hopkins, Al Kooper, Jim Keltner, travailleurs avec Bob Dylan, Bob Welch anciennement de Fleetwood Mac, Joe Walsh des Eagles er Van Morrison en seront. Wyman n'a plus cette frustration de ne pas être crédité (et à peine écouté) pour ce qu'il compose. Il est assez peu respecté mais ne s'en formalise plus avec le lancement de ses projets solos. Keith, au contraire, se sent à nouveau agressé. Il trouve que faire un album solo c'est quelque chose, mais de faire la même erreur une deuxième fois, c'est ridicule. Il craint le Mick Taylor syndrome. Un co-capitaine craignant la mutinerie et le sabordage. Et si son groupe n'était plus qu'un château de carte face à un vent nouveau ?

En mars, Anita donne naissance à leur troisième enfant, elle & Keith. Un fils, Tara. En Suisse.  

En avril, le 13ème album des Rolling Stones, avec Ron Wood maintenant officiellement membre du band et sur la pochette (mais derrière) est lancé. Krissy Wood est déclarée non coupable des accusations contre elle. Les Stones sont accusés régulièrement, et depuis longtemps de traiter les Femmes de manière réductrice. Il est vrai que leur public est plutôt masculin et que leur entourage féminin est très genré.

"We're gonna need a bigger boat"

Il s'en amuseront en annonçant la sortie de leur album avec une image choc. Un choix au goût discutable, montrant une femme attachée, semblant porter des contusions sur son corps, disant qu'elle est noire et bleue en raison des Rolling Stones et adore ça!. 

On craint l'horizon, on brasse les eaux. Capitaine Mick croit en ceci. 

Et Jagger justifie en disant qu'il ne s'agit que d'une photo. Que des gens des deux sexes prennent plaisir au bondage. 

Que ce n'est qu'un jeu. 

Et que la jeune femme sur la photo ne semble pas s'en plaindre. 

Et qu'ils ne font que du rock'n roll.

Et qu'ils aiment toujours ça.

*vraiment une des mes 3 préférées du band.